Chapitre 1
Lee regardait New York de la fenêtre de son bureau du 27ème étage du building Warnen. La vue, imprenable, ne lui procurait aucun apaisement aujourd’hui.
- Bon sang, il faut vraiment qu’on trouve une solution, marmonna-t-il entre ses dents.
Son regard gris erra une seconde sur l’image que reflétait la vitre de son bureau, puis il se détourna et retourna s’asseoir à son bureau encombré de dossiers.
- Aline appelez Mr Wayne, qu’il vienne dans mon bureau le plus vite possible, ordonna-t-il d’une voix froide par l’interphone.
- Bien Mr Farrell, je l’appelle tout de suite.
Le silence se fit dans le luxueux bureau, seul le doux ronronnement de l’ordinateur se faisait entendre. Lee, le coude appuyé sur l’accoudoir de son fauteuil, se balançait doucement, la mine sombre. Quiconque le connaissant n’aurait osé l’aborder.
Un léger suintement se fit entendre, la porte du bureau s’ouvrit livrant passage à un jeune homme blond et racé. Le regard bleu et franc erra un instant dans le bureau et se fixa sur le dur visage de son ami.
- As-tu trouvez une solution Lee ?
- Non aucune, je suis dans une impasse. Je n’arrive pas à mette le doigt sur ce qui cloche pour ce foutu mécanisme. Je suis certain qu’il y a une solution, mais impossible de mettre la main dessus, grogna Lee, encore plus renfrogné.
Marcus approcha lentement du bureau, il marchait d’une allure féline et souple. Il se laissa tomber dans le confortable fauteuil en face du bureau de Lee et regarda son ami. Lee Farrell était le genre d’homme qui ne laissait pas les femmes indifférentes. Le regard gris surmonté d’épais sourcils bruns, éclairaient un beau visage aux traits volontaires. La bouche fine et sensuelle savait se montrer douce ou ironique. C’était un athlète rompu à de nombreux sports, au corps délié et robuste, d’une élégance et désinvolture nonchalante. Qualifié de play-boy par la presse à scandale, le PDG de Warnen and Co était réputé pour être dur en affaires, intransigeant et difficile d’abord. Mais ces amis savaient pouvoir compter sur lui à tout moment. Marcus et Lee se connaissaient depuis la fac et une solide amitié les liaient depuis de nombreuses années.
- Il faut qu’on trouve une solution, ce procédé va révolutionner les procédures d’usinage de nombreux produits informatiques ; il faut vraiment qu’on le mette au point. On a investi beaucoup dans cette histoire, si on se plante, on perd deux ans de recherches. Et les investissements faits en Floride sont perdus. Warnen aura du mal à s’en remettre. Et tu sais que les investisseurs sont des requins qui n’hésiteront pas à nous bouffer, marmonna Lee avec humeur.
- On cherche, tu le sais, mais pour l’instant on n’a aucune piste, rappela Marcus d’une voix douce. On est toujours bloqué sur le même point, impossible d’avancer.
Le regard lointain, Marcus réfléchissait avec concentration.
- Sean m’a bien parlé d’une étude qu’il a vu sur le net, sur le procédé d’usinage de produits radio, employant un protocole particulier, mais il a été incapable de m’indiquer d’où venait ses sources. Il croit vaguement se souvenir, d’un ingénieur qui dans une étude aurait abordé ce type de protocole. Mais d’après lui, c’est une vieille étude d’une bonne dizaine d’années. Donc aucune possibilité que cela nous soit utile.
Une lueur d’intérêt s’alluma dans les yeux de Lee, s’accoudant à son bureau, il regarda Marcus avec attention.
- Tu crois qu’on pourrait retrouver cette étude ? questionna-t-il avec lenteur.
- Je ne sais pas, Sean ne se souvient pas quand, ni comment il a eu accès à cette étude. Il pense que c’était une étude de thèse de fin d’année d’une quelconque école d’ingénieur.
- On pourrait essayer de retrouver cette étude et pourquoi pas l’ingénieur ? On ne sait jamais après tout, au point où nous en sommes, toutes les idées sont bonnes à prendre, répondit Lee avec lassitude.
- On peut essayer. Je vais questionner Sean et mettre une équipe sur la recherche de cette étude dès demain.
- Bien, soupira Lee en se frottant les yeux.
Marcus observa Lee avec attention pendant quelques minutes silencieuses.
- Tu as l’air crevé, il faudrait que tu prennes un peu de repos, déclara-t-il. Madeline te fait toujours faire le tour de toutes les soirées à la mode ?
- Le repos se sera pour plus tard, quand on aura une solution, bougonna Lee. Et oui, Madeline me traine dès qu’elle le peut dans les soirées. Et je commence à me lasser.
- Des soirées ou de Madeline ? ironisa Marcus.
Lee lui jeta un regard désabusé.
- Des deux, soupira-t-il. Madeline est une vraie bombe, dans tous les sens du terme, constata Lee avec un air las. Mais j’ai l’impression que nous ne sommes plus sur la même longueur d’onde.
- Oh, oh, oh, le célèbre Lee Farrell, le plus grand play-boy de tous les temps, l’homme que toutes les femmes rêvent de mettre dans leur lit, et que toutes les mères espèrent comme gendre, le grand Lee Farrell se lasserait de tous les plaisirs que la vie lui offre, rit Marcus avec humour.
- Vas y, soupira Lee, moque toi. Mais franchement, j’ai vraiment envie d’un peu de calme.
- Renvois Madeline, ou mieux offre lui un voyage autour du monde, elle te laissera peut-être tranquille. Ou alors épouse là, et je suis sûr que là tu auras la paix.
Lee jeta un regard noir à Marcus.
- Je ne suis pas prêt à me mettre la corde au cou, surtout avec une femme comme Madeline, répliqua-t-il avec humeur.
- Serais-tu devenu romantique ? se moqua gentiment Marcus.
Lee se détendit, un sourire au coin de la bouche, une lueur amusée dans le regard.
- Non, je ne crois pas que je succomberais à ce genre de maladie. Tu me connais assez, ce n’est pas mon genre. Le romantisme, la mièvrerie de « l’amour », toutes ces choses à l’eau de rose, c’est de la foutaise.
- Et le coup de foudre ? questionna Marcus, amusé.
Lee éclata d’un rire franc, qui tout à coup le rajeunit, allumant dans ses yeux gris des étincelles de gaieté.
- Alors là, c’est encore la pire des arnaques. La seule chose qui existe, c’est le désir de l’autre, la passion des corps, et tu le sais aussi bien que moi, l’amour toujours, l’amour éternel, c’est juste pour faire vendre du papier. Regarde le nombre de divorces depuis quelques années. Un mariage sur deux se termine en divorce, alors l’amour…. Juste une illusion… Ce que veut l’homme, c’est juste se reproduire, transmettre ses gènes, juste par orgueil, se dire que l’on ne quitte pas ce monde sans laisser sa trace.
Marcus regarda Lee avec attention, un sourire aux lèvres.
- Te voilà bien pessimiste en l’avenir de l’homme. Il ne vaudrait mieux pas que Madeline t’entendes prononcer des discours de ce style.
Lee regarda Marcus avec ironie.
- Que veux-tu, avec l’âge on dit que l’homme s’assagit. En réalité, je crois plutôt qu’on découvre que les contes de fées n’existent pas et que la vraie vie n’est qu’un combat de tous les jours. Mais ça, tu le sais aussi bien que moi. Bon allez, trêve de plaisanterie. Je compte sur toi pour cette fameuse étude.
- Je fais le nécessaire dès demain, répondit Marcus en se levant et se dirigeant vers la sortie du bureau. Se retournant vers son ami, et repose toi un peu, tu as vraiment l’air claqué.
- Merci de ta sollicitude Marcus, répondit Lee en se levant lui aussi. A demain.
- A demain Lee.
En rassemblant quelques dossiers, Lee réfléchissait à sa discussion avec Marcus.
Sa relation avec Madeline commençait à lui peser, pourtant, il y avait encore quelques semaines, il envisageait sérieusement de peut-être lui proposer une relation plus sérieuse. A 37 ans, de papillonner d’une relation à l’autre ne le satisfaisait plus. Au fond de lui, il ressentait un manque, indéfinissable, comme une brume sur un lac l’hiver. Humeur éthérée, tapie au fond de lui, cela le mettait mal à l’aise. Il se secoua et se mit à rire de lui-même.
- Tu ne vas pas devenir sentimental, mon pauvre Lee. Pour l’instant tu as du boulot sur la planche et il faut résoudre ce problème, marmonna-t-il. Le reste passera après.
Lee pestait. Maudit GPS, ou plutôt maudit bled perdu au milieu de nulle part. Cela faisait plus d’une heure qu’il avait l’impression de tourner en rond et évidemment il n’avait pas pris de carte. Qui donc utilise encore une carte dans le monde super-connecté ? Mais ici, la technique de fonctionnait pas. Le GPS ne retrouvait plus son chemin depuis plus d’une heure et impossible de se connecter à internet avec son Smartphone. Pas de réseau.
Il était parti depuis plus de 5 heures, confiant, sûr de lui et le voilà errant lamentablement sur des petites routes sans signalisation. Pas un seul panneau d’indication de direction. Et en plus, il avait faim. A part un frugal petit déjeuner ce matin, il n’avait rien avalé depuis, persuadé que son expédition ne durerait pas. N’avait-il pas dit à Marcus en partant qu’il ne serait pas long, une seule journée devrait suffire ? Il n’avait même pas pris un café à la dernière station-service, voilà plus de 2 heures. D’ailleurs, s’il continuait à tourner en rond, il allait finir par tomber en panne d’essence.
Il manquerait plus de ça, perdu au milieu de nulle part, sans réseau et bientôt en panne sèche.
- Maudit E. Maccraft ? grommela-t-il.
Mais ce mystérieux E. Maccraft avait peut être la solution. Il fallait qu’il le contacte impérativement.
Marcus avait débarqué dans son bureau hier matin, excité, ébouriffé comme jamais, ne tenant pas en place.
- On a une piste, Lee, s’était-il écrié un air satisfait sur le visage. Sean a retrouvé l’étude et c’est presque ce que nous cherchons, mais elle est incomplète, impossible d’avoir une version complète. Faut dire qu’elle date de 10 ans.
Marcus jubilait littéralement, Lee ne l’avait pas vu plus excité depuis leur première cotation en bourse ! Ce n’était pas peu dire. Lui aussi commençait à sentir une grande excitation l’envahir. Si ce projet aboutissait, cela serait prodigieux. Bien sûr, il y aurait des retombées économiques importantes pour l’entreprise, mais le but était surtout de pouvoir réduire considérablement les couts de fabrication de tout produit informatique et ainsi les rendre abordables au plus grand nombre. C’était leur but premier, au grand dam de certains investisseurs. Mais les conditions avaient été posées. 50% des bénéfices iraient vers des soutiens financiers pour de petites entreprises à travers le monde pour les aider à s’équiper à moindre coûts. Toute personne avait le droit de pouvoir accéder à l’information et à la communication, Marcus et lui se battaient pour cet idéal depuis de nombreuses années. Même si, au passage, leurs idées leur avaient rapportées une grande aisance financière.
- Regarde, c’est ce qu’on a pu récupérer de l’étude.
Marcus lui avait tendu sa tablette numérique. Lee avait tout de suite vu que c’était ce qu’ils cherchaient depuis plus de deux mois. Le raisonnement était clair, précis et d’une telle simplicité. Quelques points soulevés par leurs difficultés trouvaient là une partie de leurs réponses, mais comme l’avait si bien souligné Marcus, il manquait des indications indispensables pour pouvoir vérifier si le protocole proposé pouvait fonctionner avec leur idée.
- Il faut qu’on trouve la personne qui a édité cette étude.
Marcus avait froncé les sourcils, son visage s’était crispé.
- On a le nom de l’ingénieur qui a produit cette étude, mais impossible de le trouver dans le registre des écoles d’ingénieurs du pays, pour pouvoir le localiser. Sur internet, à part son étude, aucune référence à ce type, comme s’il n’avait jamais existé sur le net. Pas sur les réseaux sociaux, ni dans les annuaires professionnels.
- Un fantôme ? s’était exclamé Lee ahuri.
- En tout cas, pas de trace d’un E. Maccraft sur le net.
- Comment allons-nous le retrouver alors ?
- J’ai mis une équipe sur le coup, on cherche à l’ancienne, avait rigolé Marcus.
- A l’ancienne ?
Lee n’avait pas entendu cette formule depuis le temps de leurs études, où on utilisait encore les annuaires téléphoniques et les bibliothèques traditionnelles.
- Oui, il n’est même pas dans les registres téléphoniques. J’ai contacté une amie dans une instance fédérale et je lui ai glissé un petit mot comme quoi je cherchais un ingénieur du nom de E. Maccraft pour un gros projet. Elle va se renseigner.
Lee avait ri.
- Encore une de tes petites amies bizarres ?
- Mais non pas du tout, juste une amie, bien utile et je lui ai promis que si elle trouvait l’info, elle pourrait diner avec toi, à tes frais, s’exclama Marcus en riant.
Lee en était resté interloqué. Marcus et ses idées idiotes ! Mais ça avait marché. Deux heures plus tard, ils avaient une adresse.
Harpwest, Pine code. Un certain Eli Maccraft. Et l’individu n’avait pas le téléphone, évidemment. Qui pouvait bien se passer de téléphone aujourd’hui ? Et voilà pourquoi il se trouvait sur cette maudite route de campagne, perdu, affamé et bientôt en panne sèche. Il y avait intérêt à ce que cet homme puisse résoudre son problème. Quelque part au fond de lui, une petite voix se moquait de lui « Et tu n’es pas au bout de tes peines ! ». Au détour d’un virage, tout à coup apparurent quelques maisons.
- Enfin, je vais pouvoir demander ma route, soupira-t-il soulagé.
Assise sur son rocking-chair devant le garage, Beth profitait des rayons chauds du soleil de septembre. Sa journée s’étirait lentement et délicieusement, un peu de travail, du calme, les chaudes couleurs de l’été indien, les chants des oiseaux dans les arbres environnants, encore des instants de bonheur. Un sourire naquit sur la bouche pleine et sensuelle.Depuis, maintenant huit ans, elle goutait à tous ces petits instants de bonheur. Comme disait Luisa « à chaque jour suffit sa peine ». Mais, Beth préférait sa propre formule « à chaque jour, un instant de bonheur ». Quel plaisir de rester là, étendue au soleil, profitant de son chaud rayonnement. Bon évidemment, elle se faisait un peu de souci pour Eli. Elle n’avait pas de nouvelles depuis une semaine, et ce n’était pas vraiment dans ses habitudes.
- Je pars en Norvège, j’ai décidé d’aller voir les fjords, je pars pour quelques semaines, je te tiendrais au courant, lui avait-il jeté en s’engouffrant dans le taxi alors qu’elle rentrait du garage. Occupe-toi bien de Marlow. Et sois sage !
Et il avait disparu, avec juste un signe de la main par la fenêtre du taxi, laissant Beth abasourdie et Marlow sautant dans tous les sens. Bon, depuis longtemps Eli avait un comportement parfois farfelu, mais pas aussi soudainement. A vrai dire, Beth adorait son beau-père.
Son propre père avait disparu de leur vie, à sa mère et elle alors qu’elle avait à peine 4 ans. Pas le temps de s’attacher, ni de regretter. Sa mère avait rencontrée Eli Maccraft quelques mois plus tard. Ils avaient eu le coup de foudre, étincelant, enivrant et qui avait duré jusqu’à la mort de sa mère, l’année de ses 12 ans. Eli, l’avait adopté et aimé comme sa propre fille. La mort de Linda les avait encore plus rapprochés. Ils étaient devenus indispensables l’un à l’autre avec Bastian. Et Eli l’avait entrainé dans son vagabondage, lui faisant visiter des contrées inconnues, Afrique, Asie, Europe au gré de ses envies. Quelques années avant la mort de sa femme, Eli avait mis au point une invention qui lui avait rapportée des millions, il avait un esprit visionnaire. Mais le monde cruel des affaires l’avait écarté inexorablement de ce monde. Et depuis une vingtaine d’années, il était venu s’installer à Harpwest, s’échappant de temps en temps lorsque le calme de la petite bourgade lui pesait. Beth, quant à elle était partie vivre sa vie « dans le grand monde » comme disait Eli. Mais, la vie n’avait pas été ce qu’elle espérait, et elle était venue se réfugier auprès d’Eli. Et depuis 8 ans, sa vie avait repris sa course sereine, non sans quelques hauts et bas. Mais maintenant, elle savait qu’elle était là où elle devait être, irrévocablement. Mais, Eli l’inquiétait depuis quelques temps, et ce soudain voyage lui paraissait étrange. Allez, pourquoi s’inquiéter d’Eli, il avait sans doute besoin d’un peu d’air. Un soupir heureux s’échappa de ses lèvres.
Quelle belle journée ! soupira-t-elle avec délice.
- Bon alors c’est pour aujourd’hui ou pour demain, l’interpella une âpre voix furieuse.
Beth sursauta, et souleva la visière de sa casquette qui tombait sur ses lunettes de soleil. Elle fronça les sourcils en regardant l’homme qui l’interpellait avec autant de rage. Une superbe voiture étrangère, gris argent était stationnée devant l’antique pompe à essence. Un homme, superbe, planté sur ses jambes écartées, les mains sur les hanches, la regardait d’un air malcommode. Légèrement à contre-jour, elle avait du mal à bien voir son visage, mais le ton n’était pas des plus agréables.
- Vous servez de l’essence ou il faut se servir soi-même ? l’interpella-t-il avec brusquerie.
- J’arrive, ne vous excitez pas comme ça, lui répondit-elle avec lenteur et prenant un fort accent campagnard. Vous êtes sûr que l’on peut mettre de l’essence sans plomb dans c’te voiture ? C’est t’y pas une voiture de chez nous ça ? Z’êtes sûr qu’elle boit comme nous ?
L’homme haussa les épaules avec irritation. Mais où était-il tombé ? Lee détestait de plus en plus la campagne. Il regarda plus attentivement la fille qui lui répondait avec une voix rocailleuse et avec un accent épouvantable. Il avait cru, au début, que c’était une gamine, vu son accoutrement, mais maintenant il en doutait. Il lui sembla que la jeune femme souriait ironiquement en se levant de son rocking-chair. Elle n’était pas très grande, à peine 1m60, de son short en jean effrangé sortaient deux jambes dorées par le soleil, la chemise à carreau en coton nouée à la taille, dévoilait une taille fine, une poitrine opulente sans excès. Les lunettes de soleil cachaient le regard, et quelques mèches d’une chevelure châtain foncée, légèrement ondulée, sortaient de la casquette rabattue sur le visage. La bouche sensuelle et pleine n’était pas maquillée. Elle avançait d’une démarche sereine et gracieuse, légèrement dansante. Une lueur d’intérêt naquit dans son regard.
- Vous en voulez pour combien ?
Lee redescendit sur terre au son de la voix rocailleuse et désagréable.
- Comment ça pour combien ?
- Ben oui, combien de litres ?
- Faites le plein, s’exclama-t-il énervé.
Il se frotta la joue distraitement.
- Vous savez où on est ici ? demanda-t-il en regardant autour de lui.
Un rire cristallin lui répondit, le faisant presque sursauter. Lee observa avec plus d’attention celle qui était penchée sur sa voiture. Il n’arrivait pas à lui donner un âge. 20, 30 ans, difficile à dire, la silhouette était gracile comme celle d’une adolescente, mais le peu du visage qu’il observait lui paraissait plus âgé, quelques rides sous les branches des lunettes, une expression de la bouche… impossible à déterminer.
- Ben, ici c’est Harpwest, 315 habitants l’hiver, 3000 l’été, mais on n’aime pas beaucoup les touristes ici. Savent pas se tenir. Des animaux. Mal élevés en plus.
- Harpwest, s’exclama Lee, faisant sursauter Beth par la véhémence du ton.
- Comment puis-je me rendre à, attendez, Lee consultât son téléphone portable, à Pine Code ?
- Pourquoi voulez-vous allez à Pine code ? interrogea avec surprise Beth, perdant instantanément son accent campagnard.
Lee la regarda, les sourcils froncés, étonné d’entendre tout à coup une voix mélodieuse et non plus la voix rocailleuse si désagréable.
- J’ai besoin de m’y rendre, répondit-t-il avec sécheresse. Si vous pouviez m’indiquer la route ?
Beth l’observait avec attention.
Qu’est-ce qu’un homme comme lui pouvait-il bien vouloir à Eli ?
A Pine Code il n’y avait que la maison d’Eli. Etait-ce pour ça qu’Eli était parti si précipitamment ? Beth secoua la tête légèrement, les sourcils froncés. Non cela n’avait sans doute rien à voir. Si cet homme voulait aller à Pine code, autant lui expliquer la route.
Un sourire amusé naquit sur ses lèvres. Après tout, si cet homme arrogant voulait aller là-bas, elle n’allait pas l’en empêcher ! Elle pouvait toujours lui indiquer la route, se serait certainement amusant de voir comment il allait s’en sortir.
- Ben vous allez tout droit jusqu’à la maison de Jenny, la maison rose, après vous tournez à gauche. Vous roulez deux kilomètres et vous trouverez une sorte de scierie à votre droite. Derrière la scierie vous aurez une route à gauche et c’est à 6 kilomètres. Vous ne pouvez pas vous tromper. Ça fera 40 dollars.
- Pour le renseignement ? s’insurgea Lee.
- Ben nan, pour l’essence dit Beth avec hauteur, reprenant son accent.
Lee soupira, retira le portefeuille de sa poche et paya Beth. Sans un regard, il monta dans sa voiture et démarra dans un nuage de poussière. Il ne savait pas pourquoi, mais cette femme l’excédait. Il n’avait jamais rencontré une créature si, si… exaspérante.
Beth riait doucement, imaginant la belle voiture gris argent, enlisée dans les ornières du chemin menant à la maison d’Eli. Les orages de la veille avaient provoqués de gros dégâts, lignes téléphoniques arrachées, transformateurs électriques complètement hors d’usage, sans parler de la connexion internet complètement rompue. Les pluies diluviennes avaient détrempées les chemins, et le chemin d’Eli était certainement le plus détérioré de tous les chemins environnants. Elle ne put retenir un grand éclat de rire joyeux imaginant cet homme si arrogant embourbé, ses belles chaussures italiennes pleines de boue, sans parler du costume !
Elle retourna sur son rocking-chair et repris tranquillement sa rêverie sans plus penser à cet étranger.